Quelle est la position de la France dans les classements internationaux en matière d’illettrisme et d’illectronisme ?
L’OCDE -Organisation de Coopération et de Développement Économique (2013) estime que la France est 22ème sur 24 pour la capacité des adultes- à comprendre et rédiger un texte.
L’INSEE- Institut National de la Statistique et des Études Économiques (2015) estime à 11% la part des adultes en difficultés graves à l’écrit soit le chiffre considérable de 7 millions de personnes adultes.
L’illectronisme se rajoute à la fracture sociale. Celle-ci apparaît de plus en plus évidente en raison du coût de l’équipement informatique pour certaines couches de la société, de la dématérialisation des procédures administratives, du manque de formation des adultes surtout âgés… Au total d’après une enquête récente (2016) de la Commission Européenne on compte en France :
- 8 % de la population active n’ayant aucune compétence numérique
- 27 % un niveau faible et qui nécessite pour la rédaction et l’obtention des données l’aide d’un tiers. Soit un total d’environ 40 % de la population
Comment s’en aperçoit-on ?
L’un des avantages du service militaire était d’évaluer les capacités en lecture et en raisonnement des jeunes appelés et ainsi dépister l’illettrisme dans cette tranche de population. De nos jours souvent, c’est à l’occasion d’une restructuration, de plans sociaux que le bilan de compétences fait découvrir qu’un certain nombre de travailleurs à reclasser sont en situation d’illettrisme ou en grande difficulté à l’écrit. Ce qui entrave d’autant leur chance de réinsertion après remise à niveau de leurs connaissances. Soulignons le retentissement psychologique de l’illettrisme, avec un sentiment de dévalorisation de soi, générant ce que l’on a pu qualifier de «sentiment de honte sociale».
De quand date la prise de conscience des gouvernements de ce problème ?
Dans le cadre de la lutte contre la précarité et la pauvreté est créée enfin en 2013, l’Agence Nationale de Lutte contre l’Illettrisme dont le directeur actuel est Thierry Lepaon. Cette agence tente de coordonner l’action des instituts publics ou privés chargés de la lutte contre l’illettrisme.
Existe-t-il des liens entre illettrisme et pauvreté ?
Parmi les personnes qui vivent en dessous du seuil de pauvreté
- Près de 35 % n’ont aucun diplôme
- 50 % ont des compétences qui vont du brevet au baccalauréat
- 15 % titulaires d’un baccalauréat plus 2
- Soulignons la situation des détenus : 25% sont en situation d’illettrisme.
Qu’en est-il du chapitre particulier de l’entreprise ?
Lors d’une enquête de la Caisse d’Assurance Maladie du Languedoc Roussillon en 2017 on constate que l’illettrisme est très fréquent dans le monde agricole (y compris dans l’industrie de transformation), mais aussi dans le milieu du bâtiment , des travaux publics, des services à la personne, l’hôtellerie. (Source : Greta : groupements d’établissements dépendant de l’éducation nationale qui organisent des formations pour adultes dans de nombreux domaines professionnels). Dans ces secteurs les immigrés constituent une fraction importante des travailleurs, une forte proportion est touchée par l’illettrisme. Or l’accès de ces populations à la lecture et à l’écrit, est indispensable à une intégration réussie. C’est actuellement loin d’être le cas.
Comment comprendre et donc accepter les lois de la République, dont la loi de 1905, sans compréhension, tant à l’oral qu’à l’écrit, de la langue française ? Le problème de l’illettrisme est bien une cause nationale dont il faut faire une urgente priorité dans notre République une et indivisible.
Comment dépister l’illettrisme en entreprise ou dans l’administration ?
Insistons sur les 25 propositions pour vaincre l’illettrisme émanant de la commission déjà nommée présidée par Thierry Lepaon. Ces propositions traitent de la prévention et la lutte contre l’illettrisme, l’accès aux compétences de base par la formation professionnelle, la formation linguistique des étrangers, le droit au français dans le monde du travail etc.
Deux modalités pratiques applicables dans le monde professionnel peuvent permettre d’identifier les personnes en difficulté. Il s’agit du service des ressources humaines, et de la médecine du travail. Cette dernière a un rôle particulièrement important à jouer. En effet, les médecins du travail sont tenus au secret médical, ce qui fait que le sujet délicat de l’illettrisme est plus facile à aborder ;car insistons sur la honte sociale que constitue le fait de ne pas savoir lire ni écrire .Il faut également impliquer les représentants du personnel et les syndicats de façon beaucoup plus importante et les sensibiliser au problème.
L’État, les collectivités locales, le tissu associatif, que font-ils ?
À notre avis en raison de notre modèle jacobin, c’est encore l’État qui maîtrise soi-disant tout. L’Agence Nationale de Lutte contre l’Illettrisme est très peu connue. À notre avis, il s’agit actuellement d’une agence de diffusion de préceptes généraux, une organisation qui accompagne plus qu’elle n’agit à proprement parler….
Au plan législatif quelles sont les dispositions réglementaires ?
Le code du travail prévoit que la maîtrise de la langue française, le développement des compétences y compris en matière numérique font partie intégrante désormais de la formation professionnelle continue obligatoire dans l’administration et l’entreprise
Le deuxième acteur et largement le plus important est l’éducation nationale. Elle agit, on l’aura compris, en amont du problème.
Il ne faut surtout pas dénigrer les résultats de cette institution républicaine, laïque, gratuite, fondement de notre démocratie.
La France n’est pas si mal positionnée dans le fameux classement Pisa (programme international pour le suivi des acquis des élèves émanant de l’OCDE). En 2016 la France est devant la Grande-Bretagne ou nous sommes au coude à coude avec la Suède. Au total 95 % d’une génération qui sort de l’école sait lire et écrire.
Le problème c’est : « Et après ? » que deviennent toutes ces compétences enseignées ? Si elles ne sont pas régulièrement utilisées, les savoirs acquis se perdent très rapidement. On commence à constater l’illettrisme chez les jeunes à partir de 25 ans, le pic étant atteint vers 55 ans. D’autres intervenants agissent : les services publics pôle emploi, l’agence nationale pour la formation des adultes ou AFPA, les collectivités territoriales, mais de façon plus ou moins coordonnée et c’est là où le bât blesse.
Pour achever ce travail voyons « combien ça coûte ? »
Il faut au bas mot 300 millions par an selon France Stratégie pour pouvoir assurer le minimum d’action.
Actuellement l’État n’y consacre que 160 millions d’euros. L’agence nationale de lutte contre l’illettrisme et France stratégie (institution autonome placée auprès du premier ministre qui contribue par ses analyses et ces propositions à l’action publique) se sont livrées au calcul suivant : pour pouvoir diviser par deux le pourcentage d’illettrisme en 2025, le coût total estimé serait de 1,5 milliard d’euros. C’est peut-être beaucoup mais il s’agit d’un investissement indispensable pour l’avenir…